Un groupe de réflexion s'est constitué en notre sein. Présidé
par le Professeur François GAY, Membre de longue date de notre
Section ; il a permis un échange riche de la part des sept membres
participants.
Le président du groupe avait proposé de travailler sur le
thème " Construction Européenne et Subsidiarité
", préconisant la lecture préalable de deux ouvrages
:
" La subsidiarité " de Chantal Delsol "
" La Nation dans tous ses états " d'Alain Dieckhoff
L'échange et la discussion ont porté essentiellement sur
le second ouvrage, celui de Chantal Delsol étant introuvable dans
les librairies rouennaises.
Le Rapport sur la Subsidiarité, " A " a été
rédigé par le Professeur GAY, lui-même.
Le Rapport " B ", sur la construction européenne, se
veut la synthèse, aussi fidèle que possible, de l'expression
de chacun des membres du Groupe, sur le second thème.
Rapport " A " :
Rapport sur la Subsidiarité
Le Mouvement Européen de Seine-Maritime a constitué un
Groupe de Travail, afin de participer au grand débat national,
lancé récemment, sur les Institutions Européennes.
Il entend ainsi, répondre aux questions posées, par le Bureau
National, en vue du Conseil National du 16 Juin 2.001. A cet égard,
il demande au Bureau National de préparer, avec l'aide de ses juristes,
une sorte de Tableau synoptique, des diverses propositions émises
sur la refondation des institutions européennes : Dans l'ordre
chronologique :
Joscka Fischer ; Claude Allègre ; ( in : Toute vérité
est bonne à dire - Pages 303 à 309) ; Chancelier Schroeder
; François Bayrou
La réflexion collective sera ainsi facilitée.
Il apparaît au Groupe de Seine-Maritime, que préalablement
au débat " approfondissement / élargissement "
ou à celui " fédéralisme / fédéralisme
d'Etats-nations ", un débat de fond devrait s'instaurer sur
la notion de subsidiarité. En d'autres termes, il faut d'abord
réfléchir à l'application concrète de ce principe,
lié à la notion de proximité, par rapport aux citoyens.
Le groupe considère, à la lumière des travaux qui
ont fait l'objet de discussions entre les intervenants, discussions portant,
en particulier, sur le contenu des ouvrages, dont la lecture préalable
à la tenue de la réunion, avait été conseillée,
savoir : l'ouvrage de Chantal Million-Delsol : " Le principe de subsidiarité
" publié aux P.U.F., et celui d'Alain Dieckhoff : " La
nation dans tous ses états " publié chez Flammarion
, que le fédéralisme ne peut se partager. D'ailleurs, ceux
qui sont plutôt " souverainistes " sont en même
temps " jacobins ".
Il convient donc, de définir, préalablement à toutes
les discussions sur les Institutions européennes :
- Les échelons pertinents de pouvoir (dont le nombre doit être
réduit, même s'il faut tenir compte des particularités
et traditions nationales) ;
- D'approfondir la notion de subsidiarité, qui peut être
fondée sur :
- Sur la recherche de l'efficacité, supposée plus importante
à l'échelon supérieur de pouvoir, ou :
- Sur la prédominance de l'échelon le plus proche des citoyens,
(pouvoir local ou régional etc.
), la délégation
n'étant décidée que dans le cas d'une insuffisance
criante, ou avérée, de l'échelon inférieur,
(quel qu'il soit), pour régler des problèmes déterminés
Il apparaît que la subsidiarité, forcément évolutive,
en fonction de l'évolution de la Société, des techniques,
etc.
constitue une véritable philosophie politique : l'accent
étant mis sur : La liberté, la responsabilité, l'arbitrage,
la " société de confiance ".
On n'empêchera pas, certes, les conflits de compétence, entre
les divers échelons de pouvoir : ces conflits ne dérivent
pas d'une imperfection du principe de subsidiarité, mais ils font
partie de l'idée elle-même.
Mais une bonne application de ce principe suppose que la responsabilité
de chaque échelon soit clairement établie. La responsabilité
partagée est possible, mais elle doit être limitée
au maximum, pour ne pas multiplier les " financements croisés
", qui diluent les responsabilités, et ajoutent les complications
bureaucratiques à l'inévitable complexité.
D'ores et déjà, la Section critique les modalités
des financements européens, (difficiles à gérer),
contraires au principe de subsidiarité.
Munis de quelques principes, (bien entendu à approfondir), la subsidiarité
doit permettre de distinguer les responsabilités des divers domaines
d'intervention, en ne déléguant à l'échelon
" supérieur ", que ce qui est le plus réellement
le plus efficace.
A\ Domaine européen :
- L'Europe puissance ;
- La Paix, (qui est loin d'être assurée en Europe, sur le
long terme : A titre d 'exemple le problème de Kaliningrad, qui
risque d'être un futur " corridor de Dantzig ", les Balkans
etc. La promotion de cette paix en Europe implique une politique étrangère
commune et une armée européenne ;
- Le Grand Marché, origine des Institutions européennes.
Sur ce point, une priorité doit être donnée à
l'échelon européen pour combattre, non la mondialisation,
mais ses effets pervers ( en particulier, ceux de la mondialisation financière).
D'une part, par le contrôle de " l'argent sale ", qui
passe par la surveillance des sociétés de clearing ou des
systèmes de routage, comme SWIFT, qui siège à Bruxelles.
D'autre, par le contrôle de tous les paradis fiscaux, de Jersey
au Liechtenstein, de Luxembourg à Monaco ; ce sont des obstacles
au Grand Marché, et aussi, des créateurs d'inégalités.
Et enfin par le poids accru de l'Europe, au sein des Organismes internationaux
(OMC en particulier) ;
- La protection de l'environnement est aussi incontestablement une responsabilité
européenne, (faire contrepoids à l'égoïsme américain
; faciliter les conditions d'égalité dans le Grand Marché
).
B\ L'espace National
L'espace national n'est pas pour autant dévalorisé. Il reste
un espace de solidarité vécue. Et surtout un espace culturel,
même si l'on ne doit pas oublier qu'il existe une culture européenne,
issue des traditions judéo-chrétiennnes de l'ère
des Lumières etc.
Il légitime l'exception culturelle et la défense des langues
nationales et des " productions culturelles " (mais les langues
minoritaires ou régionales relèvent des collectivités
régionales).
C\ L'espace des Collectivités locales et régionales
Celui-ci doit bénéficier de tous les pouvoirs ou responsabilités,
qui n'ont pas été délégués à
l'échelon supérieur, défini strictement (voir ci-dessus).
On doit à cet égard, favoriser deux échelons :
- Un échelon régional, interface entre l'Europe, (le monde),
et le local : Espace " d'accommodation " par excellence. Il
en résulte, qu'il doit être responsable de l'aménagement
du territoire, et de la définition des stratégies spatiales
infra-nationales. En conséquence, c'est l'espace dans lequel sont
élus les députés européens, même si
une " chambre haute " peut être l'émanation des
nations ou des Parlements nationaux ;
- Un échelon local (" pays ", agglomérations,
etc.), espace du quotidien, avec des responsabilités aussi larges
que possible.
Conclusion :
C'est par une réflexion approfondie, sur le Principe de Subsidiarité,
que l'on fera avancer les débats européens, et la construction
d'une Europe proche des citoyens.
Rapport " B " :
Rapport sur la construction européenne
I/ Les leçons de l'Histoire :
Pendant toute la guerre froide, la question nationale, qui avait si fortement
marqué l'entre-deux-guerres en Europe, était parvenue à
se faire oublier, à la faveur de l'affrontement idéologique
et bipolaire qui déchira notre continent, et gagna le monde entier.
Après la chute du mur de Berlin, la fin de la lutte idéologico-militaire
rouvrit la question nationale : Revanche des nations, réveil du
nationalisme, émergence de nouveaux Etats, qui n'avaient d'existence
antérieure (Moldavie, Slovénie etc..) et, certains, aucune
reconnaissance internationale.
L'émergence progressive d'un mouvement, visant à la mondialisation,
tend à l'uniformisation de la civilisation, qui exacerbe elle aussi
les nationalismes.
Tocqueville, en avance sur son temps, avait déjà noté
que " lorsque les conditions diffèrent peu, les moindres avantages
ont de l'importance ".
Les mobilisations nationalistes n'apparaissent pas, du coup, anachroniques,
mais au contraire, modernes, préfigurant, en réaction, l'évolution
de sociétés pour lesquelles l'accroissement des échanges
économiques, des moyens d'information, des voyages, renforce un
besoin croissant de " proximité ".
Les opérateurs économiques en viennent, d'ailleurs, à
préférer les Etats-Régions aux Etats-Nations, entraînant
ainsi un fort " différentiel identitaire ", entre les
deux entités.
II/ Etat, Nation et Peuple :
L'analyse amène alors à situer ces trois composantes par
rapport aux évolutions historiques du XXème siècle,
examinées plus haut.
L'auteur présente la " nation " comme une communauté
de cultures, plurielle donc, et foncièrement duale, qui peut servir
de force de contestation des structures étatiques, accusées
de vouloir fusionner cultures et politique.
La nation se trouve elle-même confrontée aux aspirations
des peuples qui la composent, ( langue, histoire, destin partagé,
localisation territoriale.
).
Apparaît ainsi, face à elle et face à l'Etat, un éventail
de nationalismes :
- Celui des nantis, à base économique, ( Catalogne, Flandre,
Padanie, Ecosse ) ;
- Celui de la rupture du pacte politique soit consensuel (Scénario
Tchéquie/Slovaquie), soit par dissociation ( Québec, Yougoslavie,
Irlande etc..) ;
- Celui des peuples " minoritaires ", qui vont, dans leurs votes
favoriser le parti national, (minorité finnoise en Suède,
Kosovo, Macédoine par exemple).
La volonté identitaire collective va primer sur l'individualisme
libéral. L'Histoire joue là un rôle essentiel, (Norvégiens
et Suédois partagent les mêmes valeurs, mais ne veulent,
en aucun cas, revenir sur la rupture de 1905)
L'égalité juridique des personnes ne résout pas les
différences collectives, d'où un risque de " choc en
retour " dévastateur.
Les sociétés humaines sont des sociétés de
cultures ( coutume, mémoire, croyance, art de vivre etc.).
Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes doit être
conçu dans un sens très large : C'est aussi le droit d'un
peuple à ne pas devenir un Etat ; il doit pouvoir s'organiser de
façon autonome, à l'intérieur d'un ensemble multinational.
Le statut d'Etat associé implique une autonomie interne, qui doit
aller de pair avec des restrictions, voire des abandons de compétences,
en particulier, dans le domaine militaire, et la diplomatie.
Il en est ainsi du fédéralisme démocratique, qui
distingue fortement souveraineté et indépendance.
III/ La France dans ce " patchwork " :
Contrairement à la démocratie de type libéral, la
démocratie républicaine à la française fait
de l'Etat, le garant unique de l'intérêt général.
L'identité nationale refuse les particularismes (pas de citoyenneté
pour les Algériens, jusqu'en 1947, pas de position d'éligibilité
pour les immigrés " français ", jusqu'en 1998).
L'inspiration technocratique des réformes apparaît clairement
dans le découpage régional : ( Une Bretagne privée
de Nantes, une Normandie coupée en deux, et marginalisée
etc.
), sans référence aux racines, à l'histoire,
au vu des citoyens concernés, en recherche d'un besoin de
proximité et d'ancrage culturel.
La France, qui se veut unique et homogène, est vue autrement à
l'extérieur : des français plus des alsaciens plus des bretons
plus des corses plus des basques plus l'outre-mer plus les immigrés.
La nation s'y confond encore avec l'Etat, bien que l'école ne forme
plus maintenant que des professionnels, et non pas des citoyens, et que
l'armée a cessé d'être une machine à fabriquer
du sentiment national.
Les Etats-Nations sont aujourd'hui grignotés par le haut, sur le
plan politique et par le bas sur le plan " culturel ".
L'enjeu post-national est en route, la multi-nationalité s'affirme,
comme un pari sur la diversité.
La France, jacobine, est la moins bien placée en Europe, aujourd'hui,
pour s'adapter à cette évolution. l'Allemagne , l'Autriche,
structures fédérales mono nationales fonctionnent, elles,
largement sur la reconnaissance active de la pluralité.
IV/ L'Europe : Un Etat multinational ?
La multinationalité tend à dissocier l'Etat de la Nation,
( ne fût-ce pas le cas au temps de l'Empire Austro-Hongrois, et
d'autres ?).
L'envisager aujourd'hui à la dimension du continent place l'Etat
face à un formidable défi insuffisamment pris en compte.
Il lui faut arrimer un patriotisme constitutionnel aux appartenances culturelles
nationales, composer l'unité politique avec la pluralité
des nations, concilier l'universalité du cadre juridique avec la
singularité des identités culturelles.
Cela conduit à reconnaître l'Etat, comme garant de l'ordre
institutionnel et politique (économie, monnaie, justice, politique
extérieure, sécurité, défense, intégration,
recherche) mais sans plus.
Cela oblige celui-ci à reconnaître les cultures existantes,
comme champs de la subsidiarité, conférant aux nations,
régions, " pays ", la plus large autonomie possible dans
les domaines de leur ressort : enseignement, langues, arts, savoir-faire,
histoires, folklores, traditions, patrimoines, héritages religieux
En fait, tout ce qui rythme la vie du citoyen et lui est, par proximité,
accessible et compréhensible, en bref sa " culture ".
L'auteur propose alors de méditer l'exemple de la Suisse, dont
on pourrait s'inspirer, et qui correspond bien à un modèle
d'Etat-multinational , fût-il en miniature.
La confédération, (fédération de fait), agit
seule sur la scène internationale, en temps qu'Etat indépendant.
Quatre grandes familles politiques y définissent les grandes orientations
et les stratégies du pays.
Quatre langues nationales officielles y sont parlées, deux religions
y sont majoritaires ; vingt six cantons, gestionnaires de leurs "
cultures ", et donc de leur subsidiarité, y assurent une stabilité
à toute épreuve.
Un pacte politique fédéral transcende le pluralisme religieux,
culturel et linguistique.
Espagne, Belgique, et Canada, outre atlantique, évoluent dans le
même sens, avec des processus institutionnels très variés
qui permettent de résorber, en partie, les nationalismes les plus
virulents.
En Espagne, 25% de Catalans se disent exclusivement catalans, quand 25%
se disent exclusivement espagnols ! Les mêmes Catalans s'abstiennent
à 40%, lors des dernières élections régionales,
et à 25% lors des élections nationales
!
Le post-nationalisme stagne ; la société civile européenne
reste embryonnaire : ( taux record d'abstention aux élections des
Membres du Parlement Européen ).
Par quels moyens faire émerger un " patriotisme fédérateur
", sinon par des valeurs et une histoire partagée, une institution
stabilisatrice, comme la monarchie, ( Espagne - Angleterre - Belgique
) ?
Le choix est aujourd'hui décisif : Ou l'Europe organise la multinationalité
démocratique, ou elle se résigne à la multiplication
débridée d'Etats à fondement ethnique, avec le risque
d'un retour à la violence et à la guerre.
V/ Conclusion :
Pour le Groupe de réflexion, (Mmes Bras, Gonidou, Grenet, Pécou,
MM. Gay, Lefèvre, Pécou), unanime, l'option " Etat
multinational ", (ou fédéralisme plurinational), s'impose.
Sa réalisation exige un moteur, c'est-à-dire un noyau dur,
(les six fondateurs ?), ou, si l'on préfère, une avant-garde,
(le Groupe Euro ?) qui se fixerait pour objectif majeur de bâtir
les fondements d'une Europe -puissance à l'horizon 2.004.
Proposition d'architecture institutionnelle
La Maison " EUROPE " pourrait reposer sur un socle institutionnel
intégrant :
- La Charte des Droits Fondamentaux, et
- Une structure démocratique, (exécutif, législatif),
revus, corrigés et complétés.
L'exécutif , " collégial " serait composé
de la Commission, symbole de l'intégration communautaire, et du
Conseil, représentant les gouvernements des Etats membres.
Le législatif comporterait deux chambres :
1/ Le Parlement, aux pouvoirs élargis, élu au suffrage universel,
(régio-nalisé dans les grands pays), siégeant en
permanence à Strasbourg.
2/ La Chambre des Nations, (à la fois Sénat, et Conseil
Constitutionnel de l'Union), intégrant un nombre égal de
Représentants de chacune d'elles, ceux-ci étant désignés
par les Parlements nationaux, et siégeant en permanence à
Bruxelles.
Ces deux Chambres éliraient le Président de l'Exécutif.
Ce type d'architecture aurait plusieurs avantages :
A/ éviter une Commission de " confédération
", (comme Nice en a pris le risque), ouverte aux nationalismes.
B/ démocratiser davantage le législatif, et accroître
ses pouvoirs.
C/ positionner les petits états à égalité
avec les grands dans une Chambre Haute.
D/ partager le législatif de manière durable entre Strasbourg
et Bruxelles, évitant ainsi les va et vient du Parlement actuel,
et ce, sans froisser quiconque.
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