Quel rôle pour l'Union européenne dans
le monde ?
Cette interrogation est une préoccupation
majeure des citoyens européens qui, les sondages le montrent, affichent
leur souhait d'une politique étrangère, voire d'une armée
européenne.
Elle est aussi au centre des réflexions
de la Convention parce qu'elle est au cur de la problématique
de l'Union politique et qu'elle oblige les Européens à dire
ce qu'ils veulent faire en faisant l'Europe. L'architecture du futur traité
constitutionnel dépendra beaucoup des choix faits par l'Union en
matière d'action extérieure.
Si elle veut survivre et préserver
les acquis de l'intégration existante l'Union européenne
ne peut plus se contenter d'être un " quiet superpower "
exerçant une influence politique diffuse au moyen d'une politique
étrangère virtuelle. Les effets conjugués de la mondialisation,
de l'élargissement, de la menace terroriste et de l'unilatéralisme
américain lui imposent de devenir un acteur volontaire et autonome
du système international. L'élargissement va en effet donner
à l'Union de nouvelles responsabilités stratégiques
en la mettant au contact de zones d'instabilité et ce, au moment
où les Etats-Unis se désengagent des opérations de
peace-keeping dans les Balkans et où leur politique à l'OTAN
suscite de nombreuses interrogations sur leur rôle futur dans le
système de sécurité européenne.
Dans cette quête d'un rôle
international :
la première urgence pour l'Union est l'élaboration d'un
concept stratégique définissant notamment :
- les intérêts européens dans un monde globalisé
- la spécificité et les priorités de l'action extérieure
L'intérêt européen échappe à une définition
précise mais sans doute est-il plus facile à identifier
aujourd'hui que lorsqu'il se confondait assez largement avec celui d'intérêt
occidental. Sans minimiser les intérêts et valeurs qui leur
sont communs, il faut sans doute " cesser de faire comme si Américains
et Européens avaient une vision commune du monde " (R. Kagan).
Il faut aussi que l'intérêt européen soit autre chose
que le plus petit commun dénominateur entre les intérêts
des Etats Membres et qu'il intègre un minimum de solidarité
impliquant partage des responsabilités et des tâches..
Le projet qui peut sans doute servir
de fondement à une politique étrangère européenne
c'est une vision partagée du système international impliquant
notamment :
- une conception de la régulation privilégiant les enceintes
multilatérales parce qu'elles sont porteuses de multipolarité
et d'équilibre
- une approche valorisant la négociation, le compromis, le contrat
- une conception globale de la sécurité ne récusant
pas l'option militaire mais doutant de la pertinence du tout militaire
- une disponibilité à une réforme du système
international allant dans le sens de plus de justice et de développement.
Beaucoup reste évidemment à faire pour que ce projet soit
autre chose qu'un discours. Mais contrairement aux thèses de R.
Kagan, il n'est pas la projection et l'habillage de la " faiblesse
" de l'Europe. Il est le produit de l'expérience européenne
d'intégration fondée sur la primauté du droit et
des valeurs partagées. En quelque sorte, une part de son identité.
La 2e urgence est de crédibiliser
la PESC en assurant le développement de la PESD - qui marque actuellement
le pas - dans notamment quatre directions :
- L'évaluation sérieuse d'une menace de plus en plus
diversifiée et multiforme
- Une accélération de la mise en uvre des décisions
prises à Helsinki concernant l'objectif d'une force d'intervention
de 60.000 hommes opérationnelle en 2003. Cette mise en uvre
est actuellement freinée par les hésitations de certains
Etats-membres (la Grande-Bretagne) sur la marge d'autonomie à
accorder à la défense européenne. Elle est par
ailleurs menacée par la grande disparité des efforts budgétaires
en matière de défense.
- Un examen de l'opportunité d'élargir les missions de
la PESD pour y inclure, à côté des missions de Petersberg,
la lutte anti-terroriste (le Conseil européen de Séville
a donné un signal en ce sens). Faut-il aller au bout de cette
logique et envisager dans le futur traité un engagement de défense
collective (type art. 5 du Pacte Atlantique ou du Traité UEO)
?
- L'adoption " pour étayer la PESD " (art. 17 du Traité
de Nice) de mesures permettant une coopération en matière
de production d'armements, au besoin en créant les bases juridiques
d'une possible coopération renforcée.
La 3e urgence concerne le renforcement de la cohérence dans
l'action extérieure de l'Union.
Cette exigence se décline à deux niveaux :
- Celui de la cohérence verticale entre les Etats-membres
et l'Union pour mettre un terme aux politiques de cavalier seul et aux
initiatives séparées, voire concurrentes, qui portent
atteinte à la visibilité et à la crédibilité
de l'Union (notamment en matière d'aide au développement
et d'aide humanitaire). Il est également urgent que l'Union "
externalise " l'UEM et l'euro et pèse de son véritable
poids dans les institutions financières internationales où
les Etats-membres continuent de siéger séparément.
Une représentation unique leur confèrerait 29 % des voix
(17 % pour les Etats-Unis).
- Celui de la cohérence horizontale entre les acteurs
et les piliers et entre les différents instruments qui sont à
la disposition de l'Union européenne pour l'action extérieure
et dont la gamme est impressionnante : PESC/PESD, politique commerciale,
aide au développement, action humanitaire, politique d'asile
et d'immigration, volet externe des politiques communes (environnement
notamment). Ce ne sont pas les ressources qui posent problème.
C'est, d'une part, la multiplicité des acteurs, d'autre part,
l'absence de coordination entre des instruments disséminés
entre les différents piliers et qui servent mal une stratégie
globale.
Tout ceci témoigne du caractère " extensif "
de la politique étrangère de l'Union et de l'impossibilité
de séparer artificiellement " high politics " et "
low politics " : l'importance prise par la prévention et
la gestion des crises (dans leurs aspects à la fois civils et
militaires) comme par la lutte anti-terroriste est là pour le
démontrer.
La 4e urgence est évidemment
celle de la réforme institutionnelle.
La Convention est confrontée
en matière de PESC/PESD à une série de choix : quelle
compétence et quel niveau souhaitable d'intervention pour l'Union
" ? (voir A. Lamassoure). Quel partage des tâches entre quels
acteurs ? Désignés par qui ? Responsables devant qui ? Disposant
de quelles ressources ? Avec quel mode de décision ?
Au stade actuel des discussions,
et en prenant le risque de beaucoup schématiser, on voit se dessiner
deux approches :
- une approche de synergie fondée sur la coordination des rôles
et instruments pour plus de cohérence et d'efficacité
- une approche de hiérarchisation politique et bureaucratique entre
les différents acteurs et les différents domaines de l'action
extérieure.
Ces deux approches donnent en matière
institutionnelle deux tendances lourdes (avec pour chacune des variantes)
:
la première juge possible d'étendre à la
PESC la méthode communautaire qui a prévalu jusqu'à
présent. Elle privilégie une logique de continuité
qui ouvre la voie à la perspective d'une " communautarisation
" (avec néanmoins des arrangements particuliers pour la défense
dont la spécificité est quasi-unanimement reconnue).
Mais, pour prendre en compte les résistances
majoritairement exprimées à la communautarisation (voir
discours de Valery Giscard d'Estaing au Collège de Bruges), une
vision "soft " de cette approche maintient cet objectif de principe
avec quelques accommodements. En tirant notamment tout le bénéfice
possible de l'attribution à l'Union européenne de la personnalité
juridique recommandée par le rapport Amato. Même si celle-ci
n'a aucune conséquence automatique ni sur la répartition
des compétences ni sur le maintien ou la disparition des piliers,
elle est un outil de cohérence dans la mesure où elle facilite,
notamment, l'expression d'une position unique et une représentation
extérieure unifiée.
Dans cette ligne se situent quelques
suggestions de réforme institutionnelle :
- Une réforme du Conseil Affaires générales
allant plus loin que les conclusions du Conseil européen de Séville
et préconisant une véritable séparation entre Affaires
générales et Relations extérieures.
- La fin du système de présidence tournante, au moins
au niveau du Conseil (le problème se pose différemment pour
le Conseil européen) pour répondre aux exigences de continuité,
visibilité et efficacité de l'action extérieure.
- Une réforme du mode de décision par extension du VMO
et/ou de l'abstention constructive
- La possibilité d'introduire dans la PESC (et la PESD) un mécanisme
de coopération renforcée
- La fusion des deux fonctions de Haut Représentant/Commissaire
aux relations extérieures au profit d'une personnalité
désignée par le Conseil européen et la Commission
et responsable devant eux.
Elle
. présiderait le Conseil Relex
. disposerait d'un droit d'initiative dans le domaine de la PESC (non
exclusif)
. représenterait l'Union européenne à l'extérieur
et organiserait sa représentation
unique.
Ce schéma (avec de possibles variantes) a plusieurs avantages :
. il se situe dans une logique de continuité et de renforcement
de la cohérence
. il prend en compte l'interdépendance des politiques communes
. il ne remet pas en cause le fait que c'est actuellement la Commission
qui dispose pour l'essentiel des ressources financières et humaines
et du droit d'initiative pour les engager
. il n'hypothèque pas les évolutions à venir.
Une seconde tendance aboutit, à l'inverse, à privilégier
une logique de rupture en invoquant la nécessaire combinaison de
l'imagination, du pragmatisme et le caractère dépassé
du dilemme communautaire/intergouvernemental. L'idée maîtresse
est celle d'une hiérarchisation donnant au Conseil européen
la haute main sur la PESC/PESD, les ressources communautaires étant
alors de simples instruments d'exécution, sans que la Commission
participe à l'iniative, à la négociation, à
la représentation.
Cette conception est notamment défendue par la dernière
publication du Center for European Reform (proche de Tony Blair), "
New designs for Europe ". A priori, elle peut se décliner
en deux variantes :
- Une forte montée en puissance du Haut Représentant
(débarrassé de ses fonctions de Secrétaire
Général du Conseil) impliquant :
. Présidence du Conseil Relations Extérieures (et COPS
?)
. Droit d'initiative
. Suivi et exécution décisions
. Disposition d'un budget et d'un service diplomatique renforcé.
- La création d'un poste de ministre des Affaires étrangères
de l'Union auprès
d'un Président de l'Union désigné par le Conseil
européen (proposition Blair/Aznar/Chirac) pour un mandat relativement
long.
Ces deux variantes ont en commun
de faire de l'intergouvernemtal sans le dire, de détricoter ce
qui existe actuellement (avec l'exception possible de la politique commerciale)
et de remettre en cause le rôle et les pouvoirs actuels de la Commission.
On ne peut pas non plus exclure que
la recherche de compromis entre ces deux tendances opposées aboutisse
à des propositions " pragmatiques " - fondées
sur une étroite coopération du Haut Représentant
et du Commissaire Relex, du type de celles avancées, notamment,
par Chris Patten, dans son audition par le groupe de travail " action
extérieure de l'Union " :
. Participation croisée aux réunions
. Possibilité d'initiative conjointe
. Représentation commune à l'extérieur.
Mais ces suggestions présentent
l'inconvénient de ne pas s'inscrire lisiblement dans le processus
d' "institution-building " dont se réclame la Convention
et d'être trop fondées sur la qualité de relations
personnelles qui ne se reproduiront pas forcément.
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